Éditions GOPE, 14.8 x 21.0 cm, 202 pages, 40 photos couleur, 19€95, ISBN 979-10-91328-68-5

jeudi 19 septembre 2019

La rencontre avec le peuple cambodgien est une source infinie de mystères

Sanctuaire contenant les cendres d’un défunt, divinité sylvestre (province de Rotanah Kiri), sanctuaire pour mrieng kongveal.


Ce constat ne m’a jamais paru plus flagrant qu’après un repas partagé avec des agriculteurs de tous âges près du Tonlé Sap. Plus que mystérieuses, ces premières discussions pourraient être qualifiées d’hermétiques. Et si les coutumes ont pu être appréhendées après quelques journées passées à discuter et à observer, il est un domaine dans lequel je me suis retrouvé totalement démuni : le rapport au divin. Je fus par ailleurs induit en erreur par mon histoire familiale.

Pour notre esprit occidental aimant classer l’humain en catégories, la religion semble être simple. Un homme, une femme est soit catholique, protestant.e, musulman.e, bouddhiste, athée… Toute recherche sommaire ou consultation d’un atlas des religions nous apprendra que la religion majoritaire au Cambodge est le bouddhisme theravāda pratiqué par plus de 95% de la population du pays. A cela s’ajoutent une petite communauté musulmane et quelques chrétiens. Pour autant, quiconque voyage au Pays du Sourire, que ce soit en ville ou, à plus forte raison, en milieu rural, peut observer une multitude d’éléments contradictoires : un dieu issu de la cosmogonie indienne, de petits sanctuaires à l’entrée des habitations, des divinités célestes sculptées sur un temple. Une première conclusion s’impose alors rapidement : la religion nationale ne peut se résumer en un seul terme. Si l’on souhaite aller plus loin, il est intéressant d’échanger avec des Cambodgiens. Le vertige est alors tout proche devant l’immensité qui s’ouvre à nous. Le monde religieux khmer semble multiple et peuplé d’innombrables références inconnues aux Occidentaux. Néanmoins, bon an mal an, une recherche un peu plus approfondie permettra de conclure de manière très concise que les Khmers sont à la fois marqués par le bouddhisme, le brahmanisme et l’animisme. Pour autant, il devient difficile de saisir comment cet empilement de croyances peut s’agréger pour former le monde religieux khmer.

C’est après cette première approche que je commis mon erreur. Chez mes grands-parents, le rapport au spirituel était plus complexe qu’il n’y paraissait. Outre la foi chrétienne, certains gestes pouvaient faire référence à des êtres protecteurs dissimulés. En entrant dans une église, il fallait allumer au moins un cierge. La porte d’entrée de l’appartement était ornée d’un œil bleu, tout comme le rétroviseur de la voiture. J’avais donc une idée très précise d’une spiritualité plutôt classique mêlée à un monde d’esprits. Avec la certitude de saisir le lien des Khmers au divin, j’ai tenté d’expliquer à ces agriculteurs nos points communs. J’ai rapidement saisi que je les offusquais. Ce que je leur décrivais n’était, au mieux, pour eux, qu’une forme de mysticisme, voire de superstition. Je ne le ressentais pas ainsi, mais je compris que je faisais fausse route. Leur sphère religieuse était bien différente, m’affirmaient-ils avec force. Il me fallut donc de nouvelles rencontres et de nombreux échanges pour saisir pleinement que ce qui pouvait paraître comme un empilement de croyances formait en réalité une symbiose remarquable.

En découvrant l’ouvrage Cambodge, un monde d’esprits de Philip Coggan, je me suis rendu compte à quel point la compréhension du monde divin cambodgien nécessitait une grande ouverture d’esprit. L’auteur tente le pari d’apporter une vision dépassant les clichés et les résumés qui ne rendent absolument pas compte de la diversité du monde spirituel de ce pays. Si la couverture est ornée par le Bouddha, le sous-titre – les Khmers, le Bouddha et le Naga – nous informe immédiatement que ce monde ne pourra se réduire à une simple image. A la vue de la table des matières, le lecteur pourra imaginer lire de manière indépendante chaque chapitre et se plonger uniquement dans les territoires qui lui sont inconnus. Cela serait probablement possible mais dommageable à la vision globale de cette spiritualité. Philip Coggan possède une large expérience de la vie cambodgienne et a réalisé de nombreux entretiens avec des Khmers qui lui permettent d’illustrer ce monde religieux. Le troisième chapitre Récits du monde des ombres est d’ailleurs composé de quatre récits distincts de la vie spirituelle des Cambodgiens contés respectivement par un homme âgé, un fermier, une jeune femme habitant à Phnom Penh et un homme en délicatesse avec ses grands-mères. L’auteur s’efface derrière la parole directe de ces Cambodgiens. La relation quotidienne aux esprits devient alors une réalité concrète et, si ce panthéon peut demeurer confus pour le lecteur novice en la matière, l’imbrication entre ces esprits et le quotidien est palpable.

La construction du livre est intelligemment ficelée : en débutant par la vie de Bouddha, il met en avant le poids prédominant du bouddhisme dans les valeurs morales des Cambodgiens. Dès le deuxième chapitre, Coggan va plus loin en détaillant, de manière séparée, les trois visions qui constituent « le mandala de la vie spirituelle cambodgienne ». L’hindouisme avec son lot de divinités, le bouddhisme et l’animisme avec son monde des esprits.

Ensuite, l’auteur tisse une toile plus dense et complexe en appuyant sur les spécificités du bouddhisme khmer dans la vie quotidienne des habitants. Là encore, cela est illustré à partir d’exemples très concrets issus de ses rencontres. Un passage particulièrement enrichissant dans ce livre est la description fine, toujours basée sur des paroles de moines ou d’achars – ces laïcs experts en rituel – de la vie monastique. Deux chapitres y sont consacrés.

A ce point du livre, qui correspond à la moitié de celui-ci, il est temps pour l’auteur de passer au monde des esprits. Le foisonnement de divinités est détaillé en débutant par celles qui protègent les foyers – les tevodas –, puis d’autres esprits – les très puissants borameys et les plus humbles neak ta – sont illustrés par quelques exemples. J’avoue apprécier depuis longtemps le neak ta Khleang Moeung. Son histoire joue entre potentiels faits historiques et légendes, rendant son personnage vibrant à l’image de saint George en Angleterre comme le souligne malicieusement Coggan.

L’une des forces de Cambodge, un monde d’esprits est de rendre compte de la multiplicité de ces esprits – « il y aurait 10 000 borameys au Cambodge » auxquels s’ajoute une foule de neak ta dans les villages – tout en les ancrant très concrètement dans le quotidien.

Les visages jalonnant 700 ans d’Histoire khmère (du VI au XXIVe siècle).


Cambodge, un monde d’esprits consacre ses derniers chapitres à l’Histoire. La place des religions est étudiée à travers plusieurs personnages centraux du Cambodge : les rois Jayavarman VII, Ponhea Yat, Norodom Ier et Sihanouk. Comme beaucoup, je me suis demandé, en avançant dans ma lecture, si Coggan allait aborder la difficile période du Kampuchéa démocratique. Le chapitre 13 est une réflexion passionnante qui s’ouvre par la question : « Etant donné que le bouddhisme enseigne la non-violence et que les esprits défendent la moralité, comment pouvons-nous expliquer les années du régime khmer rouge ? » De nouveau, c’est à travers un récit que débute ce chapitre. Mais ensuite, ce sont les réflexions de Coggan qui viennent enrichir la lecture. En finissant ce chapitre, je n’ai pu m’empêcher de penser que l’analyse portée par l’auteur s’appliquait très tristement à de nombreux génocides perpétrés ailleurs.

Pour conclure son livre, Philip Coggan aborde l’immense défi à venir pour la spiritualité cambodgienne : la révolution vécue par ce peuple entré dans la modernité en marche accélérée.

Les 200 pages de Cambodge, un monde d’esprits sont extrêmement denses en informations, richement illustrées par plus de quarante photos. Les avis différeront probablement sur la place minime que l’auteur laisse à ses propres réflexions – la parole des Cambodgiens et la restitution de ses rencontres sont privilégiées –, mais il réussit la prouesse d’offrir une vision détaillée et concrète de ce qu’est la pensée religieuse des Cambodgiens.

J’aurais néanmoins aimé que Philip Coggan puisse creuser de manière détaillée la religion des Chams, minorité importante du Cambodge. Les Chams qui pratiquent l’islam portent une vision singulière de cette religion en l’imbriquant à d’autres socles spirituels. Cela reflète également à mon sens cette vision hybride propre à tous les Cambodgiens.

Par-delà les cartographies synthétiques et les résumés en quelques lignes propres à assouvir superficiellement notre soif de connaissances, cet ouvrage est assurément nécessaire à celle ou celui qui souhaite appréhender sincèrement la manière dont les Cambodgiens vivent leur rapport avec le spirituel.

La rencontre avec le peuple cambodgien est une source infinie de mystères, et ce livre offre de nombreuses clés pour mieux le comprendre.

Franck Quéré, auteur de Sothon (Editions Gope).

vendredi 31 mai 2019

Cambodge, un monde d’esprits est disponible !

En vente directe sur ce blog ou depuis notre site Internet dans un premier temps, puis sur votre plate-forme habituelle ou chez votre libraire préféré d’ici une quinzaine de jours, le livre de Philip Coggan vient d’être imprimé !



Cambodge : le bouddhisme, l’animisme et le spiritisme y coexistent en se mélangeant de façon indistincte. 14 chapitres pour se familiariser avec les mythes fondateurs khmers, les pratiques rituelles cambodgiennes modernes et le monde invisible.

jeudi 30 mai 2019

Une recension de Cambodge, un monde d’esprits

Article original

Cambodge, un monde d’esprits par Philip Coggan est un livre qui ne manque pas d’esprit ni d’explications spirituelles ; il ne manque pas non plus de frapper votre esprit. Ce n’est pas dans mes habitudes de me soucier de la table des matières des livres documentaires que je lis. Pourtant, après avoir tourné la première de couverture, qui nous montre une statue de Bouddha se trouvant dans l’une des galeries du musée national d’Angkor Vat, j’ai pris le temps de lire les 2 pages qui détaillent le contenu des 14 chapitres de cet ouvrage de 202 pages qui traite de spiritisme, de bouddhisme, de colonialisme et de la monarchie.
Le livre parle principalement du Cambodge,  mais de nombreux autres pays, dont l’Inde, la Thaïlande, la Chine, la France, les États-Unis et le Vietnam sont évoqués lors de perspectives historiques. Le livre s’ouvre sur une photo pleine page prise à l’intérieur de la galerie des sculptures du musée d’Angkor Vat et sert de prélude à près de 40 photos originales disséminées dans tout l’ouvrage.

Avec des titres de chapitre tels que Le récit légendaire de la vie de Bouddha, Les divinités du foyer, Récits du monde des ombres, Les morts, A l’intérieur du crocodile, j’ai eu la tentation de papillonner de chapitre en chapitre, mais, finalement, ce ne fut pas nécessaire. J’ai lu avec plaisir ce livre d’un bout à l’autre, en trois fois. Un monde d’esprit est rempli de sujets, de passages et de récits tous plus intéressants les uns que les autres comme mon exemplaire aux pages  désormais cornées l’attestera.

Cambodge, un monde d’esprit est un documentaire qui traite de mythologie, de superstition, de fantômes, de la vie après la mort et de religion. A toutes les religions sont rattachés des mythes et des superstitions et leur sont associées des considérations sur l’au-delà, mais ce que Coggan a fait, en plus d’informer les profanes ou de rafraîchir la mémoire des moins profanes sur le bouddhisme et la vie des bonzes, c’est d’expliquer comment la religion et les mythes sont vécus sur place, tout en résumant les idéaux et les différentes façons dont le monde des esprits imprègne la vie – et la mort – des Cambodgiens et plus particulièrement de ceux vivant à la campagne.
En effet, la religion cambodgienne est floue, comme nous le dit l’introduction du chapitre 2 :

« La religion des Cambodgiens est un mélange complexe d’hindouisme, de bouddhisme et d’animisme. L’hindouisme apporta aux Khmers ses divinités, le bouddhisme ses valeurs morales et l’animisme un monde riche d’esprits. Le mélange des trois constitue le mandala de la vie spirituelle cambodgienne. »

Coggan donne des explications variées sur la vie spirituelle des Cambodgiens. Pour un livre illustré, le texte est dense par moments, parce qu’il y a beaucoup d’informations – le travail de documentation effectué par l’auteur est évident, approfondi et impressionnant. Les récits à la première personne relatifs au monde invisible, donnés par de simples villageois ainsi que des shamans révérés, qui complètent et entrecoupent les parties explicatives et historiques, plus les photos couleur rendent l’ouvrage agréable à lire. 

Philipp Coggan, écrivain et journaliste, en train de signer un exemplaire de son livre. Photo de John Fengler.

Si j’avais un seul reproche à faire au sujet de ce livre, c’est que j’aurais aimé que l’auteur fasse plus sentir sa présence, à l’exemple de Récit d’un boramey, chapitre 9. Dans ce sous-chapitre, nous avons un véritable échange (entre l’auteur et un boramey). Bien sûr, ce livre contient de nombreux témoignages, mais l’auteur à tendance à trop s’effacer.

L’un de mes chapitres préférés et le 12e, Les quatre visages. Les rois Jayavarman VII, Ponhea Yat, Norodom Ier et Sihanouk y sont évoqués. J’ai particulièrement apprécié d’en apprendre sur le roi Sihanouk, sa famille et ses liens avec la Thaïlande.

Alors que j’approchai de la fin de l’ouvrage, l’auteur sembla avoir lu dans mon esprit. J’étais en train de me demander comment on pouvait parler de compassion, de magie blanche (et noire) et de superstitions sans évoquer Pol Pot et les charniers du régime khmer rouge. Le chapitre 13 – un chiffre porte-malheur dans de nombreuses cultures – le fait, et plutôt bien ; il sert de point d’appui pour le dernier chapitre où l’on voit le Cambodge contemporain se propulser vers un avenir incertain.
A l’intérieur du crocodile aborde les années du crocodile et répond à la question : « Comment un pays bouddhiste, où l’on enseigne la non-violence et la morale, a pu concevoir et poursuivre jusqu’à sa conclusion l’exécution d’un si grand nombre de ses habitants ? » La culture cambodgienne a survécu aux Khmers rouges, mais elle n’en a assurément pas profité. Alors, comme le dit Coggan : « De nos jours, elle fait néanmoins face à son plus grand défi : la modernité ».

Daun Phann, par l’intermédiaire de Som, son kru boramey, prépare une amulette (une plaque en plomb sur laquelle sont gravées des incantations magiques). Voir chapitre 9.

Cambodge, un monde d’esprits - Les Khmers, le Bouddha et le Naga est bourré de témoignages et d’intervenants, bien plus que je puisse exprimer dans cette recension. De par son format compact, on ne sent pas obligé de le ranger. Je le verrai bien se réincarner dans un format plus luxueux, contenant plus de chapitres où l’auteur laisserait davantage entendre sa voix.
A 19.95€, Cambodge, un monde d’esprits est certes plus cher qu’un livre de poche, cependant il est d’un bon rapport qualité-prix et conviendra bien à ceux, lecteurs avisés ou personnes consciencieuses voulant faire un cadeau, qui recherchent un livre pertinent au sujet des vivants, des morts et d’une culture cambodgienne en état de siège.

Kevin S. Cummings, peoplethingsliterature.com, décembre 2015.

dimanche 26 mai 2019

Article paru dans le Phnom Penh Post

Article original



Un nouveau livre dont le but est de fournir aux profanes les bases pour comprendre la religion et le spiritisme cambodgiens vient de paraître.

La religion et le spiritisme imprègnent la société cambodgienne. Chaque maison, chaque lieu de travail dispose au minimum d’un sanctuaire, chaque quartier, chaque village a sa pagode. Les moines sont omniprésents et les kru khmers le sont également.

Pour les étrangers, cet aspect de la culture locale peut sembler curieux et difficile à comprendre.

A qui sont dédiés tous ces sanctuaires ? Pourquoi les bouddhistes vouent-ils aussi un culte aux esprits ? Pourquoi les Cambodgiens ont-ils pour obsession « d’accumuler des mérites » ? Et que représentent ces flèches ondulées qui surmontent les pagodes ?

C’est ce genre de questions qui donna à Philip Coggan, ancien diplomate australien et personnel des Nations unies devenu pigiste, l’idée d’écrire Spirit Worlds: Cambodia, The Buddha and the Naga (Cambodge, un monde d’esprits - Les Khmers, le Bouddha et le Naga).
[…]
Cet ouvrage se laisse lire et fournit un rappel historique plus une vue d’ensemble du bouddhisme tel qu’il est pratiqué au Cambodge avant de faire une nomenclature des très nombreux esprits et fantômes, puis d’aborder des sujets allant de la nature du kamm (chance) au rôle du roi, du recours aux bong thom (« grands frères ») en passant par une explication de comment le génocide perpétré par les Khmers rouges a pu avoir lieu dans une culture qui fait grand cas de la non-violence et a en horreur le meurtre.

Des Cambodgiens se rassemblent pour faire des offrandes lors de la fête de Pchum Ben, au temple de Sansam Kosal, district de Meanchey, Phnom Penh. Photographie de Hong Menea.


« Je crois que la plus grosse surprise éprouvée par les étrangers au Cambodge, c’est lorsqu’ils réalisent que ce n’est pas un pays bouddhiste » nous écrit Coggan dans un e-mail envoyé d’Australie, cette semaine.

« Bien sûr, il y a Bouddha, mais il y a aussi de nombreux autres dieux, ceux-là même que vous trouvez dans l’hindouisme tels Yama, le dieu de la mort, Indra, Brahma et Vishnou, le dieu de la maison royale. Le bouddhisme est la religion qui intervient lorsqu’on meurt – à votre mort, vous avez absolument besoin de bonzes. L’hindouisme concerne la magie et le spiritisme est pour tout le reste. Les esprits ne sont jamais loin de vous. »

Coggan, qui est venu pour la première fois au Cambodge en 2002 et a écrit deux romans ayant pour cadre le pays, a passé 6 mois à se documenter pour ce livre, traversant de long en large le Royaume pour interviewer de nombreuses personnes, dont des moines, des kru khmers (guérisseurs traditionnels) et même des officiels de haut rang du clergé. En chemin, il fit des rencontres des plus intéressantes.

« L’une de mes préférées est cette fille qui est protégée par un esprit-serpent », dit-il. « Son petit ami, un Barang, m’a raconté à quel point il avait été choqué quand, après une dispute, elle lui avait révélé qu’elle avait eu l’intention de le tuer mais que son esprit-serpent lui avait conseiller de ne pas faire ça.
Ce qu’elle m’avait raconté, c’était qu’elle était sur le point de se suicider et que l’esprit-serpent l’en avait empêché. Je lui ai donné le bénéfice du doute. »

Coggan a été fasciné par les neak ta – de puissants esprits qui couvrent une zone spécifique, un village, une province entière ou une région.

« Par exemple, le petit sanctuaire qui se trouve en dessous du Mât du Pavillon Royal, sur la promenade Riverside à Phnom Penh, est dédié à 6 ou 7 des neak ta régionaux les plus importants du pays », dit-il. « Ils sont très populaires – les fidèles viennent en foule les jours saints les plus importants.
Et, bien sûr, il y a le sanctuaire de Yeay Mao sur la route qui relie Phnom Penh à Sihanoukville, avec ses symboles phalliques dont des pénis en pierre de grande taille. Les gardiens du sanctuaire sont très concernés parce que les gens viennent et laissent des phallus en bois, alors ils doivent les ramasser et les brûler, une fois par mois environ. »

Philip Coggan

Coggan dit que bien qu’il ait exploré le sujet de façon approfondie, il ne croit pas avoir rencontré d’esprits.
« Pour je ne sais quelle raison, les esprits ont tendance à m’ignorer. Mais j’ai vu la chumneang pteah, la protectrice du foyer, dans mon appartement, une nuit. Elle s’inquiétait que je n’aie pas fait les offrandes hebdomadaires de rigueur. En fait, elle ne m’a pas réellement parlé, mais je savais pourquoi elle se manifestait à moi.
Elle avait des cheveux tout à fait blancs et portait un chemisier noir serré, aux manches fendues. Bien sûr, à la différence de mes amis cambodgiens, je savais très bien qu’il s’agissait d’un rêve éveillé, causé par mes recherches sur le sujet ou quelque chose de ce genre, et non d’une véritable apparition. C’est vrai, croyez-moi. »

Il avoue par ailleurs que le plus grand défi rencontré lors de l’écriture de ce livre a été de traduire certains concepts cambodgiens difficiles à comprendre pour les Occidentaux. D’ailleurs, il n’a pas compris certains d’entre eux.

« Pendant longtemps, j’ai eu l’impression que les morts étaient supposés aller en enfer, tous les morts. Puis, j’ai découvert qu’il y avait un “endroit paisible” qui n’est pas du tout l’enfer, un endroit où tous les Cambodgiens espèrent aller.
Une autre chose que je n’ai jamais réussi à comprendre, c’est dans quelle mesure le roi est toujours considéré comme un dieu – l’incarnation de Vishnou. Je n’ai pas réussi à me faire une certitude, malgré mes lectures. Peut-être que les villageois les plus âgés le considèrent encore comme tel. Je n’ai pas eu le temps d’approfondir la question. »

Selon Coggan, ce livre est vraiment un instantané des choses telles qu’elles sont aujourd’hui. Tandis que le Cambodge se modernise et s’urbanise, la spiritualité change elle aussi.

« La religion cambodgienne est essentiellement une religion villageoise », dit-il. « Les monastères, les esprits, ils proviennent tous du petit monde des villages et ils servent à en assurer la cohésion.
Ils soudent la communauté et offres des lois à une société qui a peu des deux – le village cambodgien est un rassemblement de familles, pas une entité en soi, et ce sont les dieux et les esprits, pas la police ou le Gouvernement, qui, traditionnellement, punissent les méfaits.
De nos jours, tout cela change, très rapidement. Les gens migrent en ville, tandis que les routes, la télévision, l’économie de marché, la confiscation des terres et les partis politiques détruisent l’auto-suffisance de jadis.
Ajoutez à cela le défi des missions chrétiennes, qui sont très bien financées et créent des communautés qui refusent de se mélanger aux autres. Le Cambodge d’autrefois peut-il survivre ? je me le demande vraiment. »
[…]

Will Jackson, The Phnom Penh Post, octobre 2015.

samedi 25 mai 2019

Extrait de Cambodge, un monde d’esprits


Extrait du chapitre 3 (Récits du monde des ombres)


3. Récits du monde des ombres

Comment les Cambodgiens vivent-ils leur vie spirituelle ? Un homme âgé évoque l’esprit du village, un mari parle de ses difficultés avec ses grand-mères, l’une vivante et l’autre à naître, un fermier énumère les esprits et les démons et une jeune Phnompenhoise raconte comment les esprits font partie de sa vie.


Le récit du grand-père
Les neak ta constituent la plus importante des classes d’êtres surnaturels du Cambodge. Un expert les définit comme étant des esprits génériques, habitant les arbres, les cours d’eau et autres éléments naturels, un autre comme étant une représentation symbolique de la terre et de sa fertilité, l’esprit de la toute première personne, réelle ou mythique, à avoir cultivé le sol d’un terrain donné. Le nom de neak ta peut se traduire par « ancêtre », mais il ne faut pas chercher plus loin, car aucun membre particulier de la famille ne lui est associé, même si, grâce au neak ta, le village devient une grande famille.
Les neak ta sont les propriétaires terriens, les humains des intrus, et ils ne sont pas intrinsèquement bienveillants. Les chasseurs et les voyageurs qui pénètrent dans les forêts ou autres zones sauvages doivent les apaiser et leur demander la permission de passer sur leur territoire. Les villageois qui souhaitent défricher de nouvelles parcelles pour la culture, transformant un « prey » inhospitalier en une terre arable – « srok » – doivent s’adresser à eux avec humilité et procéder aux rituels adéquats.
Les neak ta sont les seuls esprits à être représentés par l’image. Elle peut être une statue d’un homme ou d’une femme, un lingam récupéré dans un temple d’Angkor, une pierre ou une termitière, cette dernière représentant la terre qui se régénère. (Il y a un exemple de neak ta termitière très connu dans l’une des galeries extérieures d’Angkor Vat.) Ces représentations font toujours référence à la fertilité, aussi bien des champs que des gens. Certains neak ta portent un nom, mais la plupart sont connus par leur titre – le « neak ta de l’arbre de la Bodhi », le « neak ta du village ». Ils participent activement à la vie du village et chaque neak ta est célébré une fois par an lors d’une fête en son honneur pendant laquelle la commune tout entière se rassemble à son sanctuaire.
Prek Luong est un curieux nom pour un village, parce que « prek » désigne un canal ou un lac, tandis que « luong » est un mot qui a un rapport avec la famille royale. Selon une légende locale, un prince, qui avait une main magique, s’enfuit d’Oudong, la capitale royale, et vint construire un palais ici ; puis, de sa main magique, il creusa un canal pour relier son palais au fleuve. La légende raconte aussi que le prince avait un oncle méchant qui retrouva sa trace et vint le tuer. L’Histoire, avec un grand H, nous apprend que des événements assez similaires se sont effectivement déroulés dans cette région, il y a quelques siècles.
Comme de nombreux neak ta de village, l’esprit résidant à Prek Luong n’a pas de nom. À l’origine, il était dénommé Neak Ta Me Chas Srok, le « neak ta du vieux village », et était représenté par un rocher qui, malheureusement, n’existe plus. Je soupçonne que le « rocher » pourrait bien avoir été un objet datant de temps reculés, car Prek Luong est situé près de la berge du Mékong et, ici, il n’y a pas d’autres matériaux que du limon ; les Khmers rouges l’ont emporté et personne ne sait ce qu’il en est advenu.
Ce fut Ta Krit (« Grand-père Krit »), 81 ans, natif de Prek Luong, qui m’en parla. Dans sa jeunesse, Ta Krit avait été communiste, ce qui lui permit de survivre aux Khmers rouges, et il devint le chef de la commune en 1979. Il occupa ce poste pendant les trente années suivantes, ce qui dénote un esprit rompu à la politique.
L’une des toutes premières tâches qu’il s’imposa fut de réintégrer le neak ta perdu de Prek Luong. Comment faire ? Il remarqua que les vaches du village évitaient trois jeunes et succulentes pousses de bananiers qui végétaient dans un champ, près des limites de la commune. Après investigation, il découvrit qu’un arbre de la Bodhi, semé spontanément, poussait entre les trois plants, bien à l’abri. Sous sa supervision, les villageois construisirent un petit sanctuaire en bois près de l’arbrisseau et invitèrent le neak ta à s’installer dans sa nouvelle maison. Au bout de trois décennies, l’arbre est devenu grand et, de nos jours, l’esprit est appelé Neak Ta Dam Po, « l’ancêtre vivant dans l’arbre de la Bodhi ».
Prek Luong est un village plutôt prospère et, il y a de cela plusieurs années, Ta Krit a fait remplacer le sanctuaire en bois par une construction plus solide en béton, décorée de faïences. Un peu plus tard, il commanda une statue pour le sanctuaire, de façon à dissuader les gamins de venir jouer dedans ce qui aurait offensé le neak ta, car il ne voulait pas que l’esprit punisse des enfants qui jouent innocemment.
Un sala chan – un réfectoire – a été construit pour les moines sous l’arbre de la Bodhi, à proximité du sanctuaire, et chaque février les quatre hameaux qui constituent le commune se réunissent ici pour une fête de la moisson appelée « Marchons dans les champs ». Cette fête a un rôle pragmatique, celui de rappeler aux villageois quelles sont les limites des champs et de la commune, et un rôle spirituel en fournissant une occasion de demander au neak ta sa bénédiction pour une fertilité renouvelée.
Ta Krit m’a dit que Neak Ta Dam Po est un esprit puissant qui satisfait toujours aux requêtes des gens. Celles-ci sont très ordinaires : des enfants, une bonne santé et les numéros gagnants du loto. À titre d’exemple de la puissance et de la bienveillance de Dam Po, Ta Krit cita le mariage de sa propre fille : la mousson durait plus longtemps que d’ordinaire cette année-là et des nuages noirs s’amoncelaient tandis que le grand jour approchait. Alors, Ta Krit fit une prière à Dam Po, puis le ciel s’éclaircit et le mariage fut réussi. Ta Krit lui-même n’a jamais été malade en quatre-vingt-un ans, ce qu’il attribue à la bonté du génie tutélaire du village.
Neak Ta Dam Po aime les gens honnêtes, qui disent vrai et respectent la parole donnée, ceux dont le cœur est pur, ceux qui ne font jamais de mal aux autres et ne sont pas avides. Mais il doit être traité avec le respect qui lui est dû. Il est heureux de partager les fruits des manguiers qui poussent dans son domaine, toutefois, ceux qui veulent les cueillir doivent d’abord lui demander la permission. De la même manière, les enfants qui veulent jouer dans le sala chan sont les bienvenus, sauf dans le sanctuaire du neak ta, et ils ne doivent pas jeter de pierres ni jurer en sa présence.
Ceux qui le fâchent, il les punit en les rendant malades. Si quelqu’un dans le village tombe malade et si les traitements médicaux échouent à le guérir, Dam Po doit être consulté par l’intermédiaire d’un kru pour savoir si l’esprit a été fâché et pour quelle raison.
La statue de Neak Ta Dam Po nous montre un homme bien bâti d’âge moyen ; il est assis, un poing fermé repose sur un genou relevé. C’est une pose classique que j’ai pu observer chez de nombreux neak ta mâles, pourtant je ne crois pas qu’une iconographie ait été faite par qui que ce soit. On m’a dit que c’était la pose de tous les esprits de bas rang. L’autre bras est tendu vers le bas, la paume de la main fait face au visiteur en une mudrā de la générosité. (Les mudrā sont une série de positions codifiées et symboliques des mains des effigies de Bouddha : la main droite levée, paume vers l’extérieur, signifie « absence de peur », les deux mains sur les genoux, l’arrière de la main droite reposant sur la paume de la main gauche, signifie « méditation », etc.)
La statue est l’œuvre d’un artiste local, Hang Sovann, qui a aussi décoré le sala chan. J’ai fait la connaissance de Hang Sovann ultérieurement, et il m’a dit que lorsqu’il était jeune et pauvre, il avait souvent vu le neak ta dans ses rêves et ses rêveries, et que c’était pour cette raison qu’il savait à quoi il ressemblait. Le neak ta lui avait prédit qu’un jour il serait riche et lui a demandé qu’en temps voulu, il se souvienne de ce moment : la statue est le remerciement de Hang Sovann.

***

Il y a deux neak ta au village, Neak Ta Dam Po étant le génie tutélaire de la commune tandis que le second est celui du monastère. Ce dernier est appelé Neak Ta Kuy, un nom chinois sans signification particulière, m’a-t-on dit. Son sanctuaire, qui est presque aussi grand que celui de Neak Ta Dam Po, abrite des figurines chinoises au lieu de la statue d’un Khmer, plus une tablette sur laquelle sont inscrits des sinogrammes.
À l’égal de Neak Ta Dam Po, Neak Ta Kuy punira quiconque enfreindra les règles de bienséance, comme jurer ou uriner dans le domaine du temple. Son autorité est limitée au monastère, néanmoins, il remplit l’importante fonction d’intermédiaire du village pour tout ce qui concerne les négociations collectives avec le monde extérieur – si Neak Ta Dam Po était le Premier ministre de Prek Luong, Neak Ta Kuy serait le ministre des Affaires étrangères.
Le jour de ma visite était deux semaines avant l’importante fête des Eaux qui a lieu annuellement ; pendant trois jours, des courses de pirogues se déroulent en face du palais royal de Phnom Penh. D’autres courses sont organisées un peu partout dans le pays, mais celles de la Capitale sont les plus importantes, car elles sont présidées par le Roi en personne devant des millions de spectateurs. Les pirogues défendent les couleurs de leur commune ; le reste de l’année, elles sont stockées dans le monastère, dans des hangars à bateaux, sous l’œil vigilant du neak ta du temple. Une cérémonie d’offrande en l’honneur de la pirogue de Prek Luong venait juste de se terminer quand je suis arrivé ; on avait demandé à Neak Ta Kuy d’apporter sa force aux rameurs. La plupart des hommes du village semblaient présents.
La pirogue de Prek Luong, comme toutes les autres, a été construite à partir d’un seul arbre. Avant de couper l’arbre, on a demandé à l’esprit qui l’habitait sa permission ; ensuite, on l’a invité à rester dans la pirogue pour la défendre contre les esprits des bateaux rivaux. Cet esprit est une bray, une femme qui est morte en couches. Pareillement à toutes les bray, elle est méchante et, par malveillance, elle provoque stérilité et fausses couches à toute femme qui passe devant la pirogue. Ce qui explique pourquoi il n’y avait aucune femme présente lors de la cérémonie au sanctuaire de Neak Ta Kuy.
Du fait de sa nature malveillante, la bray est le plus puissant des esprits. La plupart du temps, elle est crainte et évitée, mais le neak ta du temple peut la dompter et la transformer en une servante de Bouddha. Ainsi, le matin du premier jour de la fête des Eaux, des rites sont accomplis au son d’un ensemble pinpeat composé de divers xylophones et de hautbois (ou au son d’un CD, car les ensembles pinpeat coûtent cher), et les plus jolies jeunes femmes du village vont danser telles des apsara pour contenter la bray.
Grâce à l’aide de son neak ta et de sa bray, la pirogue de Prek Luong gagne toutes les courses auxquelles elle participe. Comme me l’a dit le conservateur du bateau : « Lorsqu’ils voient la pirogue noire de Prek Luong sur le fleuve, ils en ont les jambes coupées et ils ne peuvent pas s’empêcher de lâcher de l’eau ! »


Le récit de la grand-mère
Mon ami Socheat, cadre en marketing, et sa femme, agent comptable, attendent leur premier bébé. Comme partout dans le monde, personne d’autre que la mère de la future maman considère cet événement comme étant le plus important d’entre tous, et personne d’autre n’est si attaché à la tradition.
Le kru a déjà annoncé quel serait le sexe de l’enfant à naître (une fille) ; l’échographie réalisée à la clinique n’a fait que confirmer une information connue. Toutefois, il y a un problème : la femme de Socheat pense qu’il ne passe pas assez de temps avec elle. Au lieu de se dépêcher de rentrer à la maison après le travail, il sort avec ses amis. N’est-il pas concerné ? Ils se sont disputés. Pas sérieusement, mais le ton est monté. Socheat, en tant que Cambodgien moderne à l’esprit scientifique, dit que sa femme est injuste ; le bébé, dit-il, la rend irritable. Il met son comportement sur le compte des hormones.
La femme de Socheat a tout raconté à sa mère, et sa mère a tout raconté au kru. Le kru a confirmé que le bébé était bien la source du problème : il est l’esprit réincarné de la grand-mère de Socheat. Le futur papa devrait donc écouter sa grand-mère et passer plus de temps avec sa femme.

***

La famille est l’un des piliers fondamentaux de la société cambodgienne. « Famille » n’a toutefois pas exactement le même sens qu’en Occident, car il comprend les ancêtres ou meba. Cela est très courant dans les sociétés animistes, toutefois, au Cambodge, la croyance en la réincarnation ajoute un petit plus : vos meba ne sont pas, comme on pourrait s’y attendre, vos ancêtres biologiques, mais vos ancêtres par voie de réincarnation. Cela signifie que vos meba mères sont toutes les femmes qui ont été mères dans vos vies antérieures. La différence peut sembler théorique, car vos grands-parents se réincarnent généralement dans leurs propres petits-enfants et arrière-petits-enfants. Par exemple, le Premier ministre Hun Sen a dit à ses biographes officiels qu’il croit que sa petite-fille est la réincarnation de sa mère : « Chaque fois qu’une personne que connaissait ma mère vient à la maison, l’enfant dévisage cette personne et lui sourit. »
Les meba sont fortement impliqués dans les affaires courantes de la famille. Lors de mariages, on leur demande de bénir la vie des futurs époux et d’empêcher les bagarres entre invités ivres ; lorsque la nouvelle mariée tombe enceinte, elle informe les meba que la famille va bientôt s’agrandir, puis elle procède de même à l’arrivée du bébé.
Les meba sont stricts quant aux principes moraux. Ils punissent les filles (mais pas les garçons) qui ont des rapports sexuels avant d’être mariées, et si quelqu’un tombe malade sans raison particulière ou si un traitement médical échoue, il devient nécessaire de découvrir si des rapports sexuels illicites n’en seraient pas la cause. Réciproquement, les meba ont de la sympathie pour les jeunes et ils peuvent faire tomber malade un membre de la famille si les parents font obstacle à un mariage d’amour ; cette sanction ne sera pas levée tant que les parents n’auront pas demandé pardon aux ancêtres.
La prime enfance est idyllique au Cambodge. Les bébés sont chouchoutés, les tout-petits gâtés. Cela dure jusqu’à l’arrivée d’un autre enfant ; l’attention se porte alors sur le nouveau-né. À chaque nouveau frère ou sœur qui arrive, l’aîné endosse des responsabilités de plus en plus importantes, parfois à un très jeune âge.
Les enfants ont une dette envers leurs parents qui ne peut être remboursée. Cette dette est le don de la vie, mais aussi le fait que les parents, et plus particulièrement la mère, les ont élevés et leur ont donné une éducation et une conscience morale. Les textes sacrés bouddhiques dressent la liste de différents types de péchés, et il n’y en a pas de plus grand que l’ingratitude envers ses parents.
La mère élève, éduque, aime, mais elle punit et trahit aussi en retirant progressivement les privilèges de la petite enfance. La seule façon de contenter sa mère est de lui obéir, ce qui permet de regagner son amour et d’obtenir son approbation.
Les pères semblent être absents de la psyché khmère ou, tout au moins, on ne leur accorde pas autant de valeur qu’aux mères. Chose curieuse, le grand-père semble endosser le rôle d’éducateur à la place du père.
Le terme khmer pour désigner ce qu’on appelle en Occident le « nom de famille » est chmoh chi-ta, littéralement « le nom du grand-père ». Navy Phim expliqua cela dans son livre Reflections of a Khmer Soul :

« Mon prénom pourrait être le nom de mon grand-père paternel tandis que le nom de famille de mes enfants pourrait être celui du père de mon mari. Enfin, cela fonctionne de cette façon dans la province de mes parents, Battambang. »

Dans une société où il n’y a, entre les gens, guère d’autres liens que ceux de la famille, des liens de parenté fictifs sont créés. Ainsi, on s’adresse toujours aux aînés en utilisant un terme poli de parenté, même s’ils ne font pas partie de la famille. Toute personne qui a à peu près le même âge est appelée bong, ce qui signifie « grand frère/grande sœur » (le khmer ne distingue par les genres), ceux qui sont manifestement plus jeunes oun, ce qui signifie « cadet la famille », et les aînés daun chi ou ta chi, grand-mère ou grand-père. [...]



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vendredi 24 mai 2019

Table des matières de Cambodge, un monde d’esprits


Vue du chapitre 13 (À l’intérieur du crocodile)



1 LE RÉCIT LÉGENDAIRE DE LA VIE DE BOUDDHA
Le quatrième bouddha, p. 9
La naissance de Siddharta, p. 11
La grande renonciation, p. 12
La voie du milieu, p. 13
L’atteinte de l’éveil, p. 14
Les sept semaines suivant l’éveil, p. 16
L’enseignement, p. 17
Mort et extinction de Bouddha, p. 19


2 UNE CARTOGRAPHIE SECRÈTE
Le mandala de pierre, p. 21
Dharma, p. 25
Le monde de l’animisme, p. 30


3 RÉCITS DU MONDE DES OMBRES
Le récit du grand‐père, p. 35
Le récit de la grand‐mère, p. 40
Le récit du fermier, p. 42
Le récit de la jeune femme, p. 48


4 KAMM ET BONN
Le récit d’un homme marqué par son kamm, p. 53
Un homme de bonn, p. 55
Le récit de l’homme de bonn, p. 58
Le récit du mendiant, p. 61


5 VOIX ANCESTRALES
Preah Thorani, p. 63
Preah Thong et la princesse naga, p. 65
La tour du roi naga, p. 66
Le Taureau sacré et le Joyau sacré, p. 68


6 L’ORDINATION DU NAGA
Le monastère, p. 77
Le récit d’un premier moine, p. 81
La communauté monastique, p. 82
L’étude et la méditation, p. 85


7 RÉCITS DU MONASTÈRE
Le récit d’un autre moine, p. 89
Le récit de l’achar, p. 91
Un premier récit de nonne, p. 94
Le récit du garçon de temple, p. 95


8 LES DIVINITÉS DU FOYER
Les tevoda, p. 99
Premier récit d’une marchande de sanctuaires, p. 102
La chum neang pteah, p. 104
Les mrieng kongveal, p. 06
Second récit d’une marchande de sanctuaires, p. 107


9 DES POUVOIRS TERRESTRES
Les kru boramey, p. 111
Sedch Kamlong, le Roi Lépreux, p. 113
Me Sar, la Mère Blanche, p. 115
Yeay Mao, la Dame Noire, p. 116
Khleang Moeung, le Général Fidèle, p. 117
Le récit d’un boramey, p. 119


10 LE MIROIR DE YAMA
La roue de l’existence, p. 127
La mort, p. 129
Renaissance, p. 131
L’enfance, p. 133
L’amour, le mariage, p. 135
La vieillesse, p. 137
Bannières de l’âme, p. 138
Un second récit de nonne, p. 140


11 LES MORTS
Fantômes affamés, p. 143
Un premier récit de revenant, p. 144
Un second récit de fantôme, p. 146
La fête des fantômes affamés, p. 149


12 LES QUATRE VISAGES
Le roi Jayavarman VII, p. 155
Le roi Ponhea Yat, p. 160
Le roi Norodom Ier, p. 162
Le roi Sihanouk, p. 164


13 À L’INTÉRIEUR DU CROCODILE
Le récit d’un survivant, p. 171
Le pays du sourire, p. 175
Le récit d’un bourreau, p. 177
La religion de l’Angkar, p. 183


14 LE CINQUIÈME BOUDDHA
Le récit de l’architecte, p. 187
De la religion dans une société d’abondance, p. 189
La grande migration, p. 193
La danse de la modernité, p. 196
Le récit du roi, p. 198


INDEX, p. 200

mercredi 22 mai 2019

Présentation de Cambodge, un monde d’esprits

Éditions GOPE, 14.8 x 21.0 cm, 202 pages, 40 photos couleur, 19€95, ISBN 979-10-91328-68-5

Résumé

Voilà un pays où les Chroniques Royales s’apparentent à des récits plus mythologiques qu’historiques, où le roi était une créature semi-divine jusqu’à récemment. Rituels, traditions et croyances séculaires y perdurent, malgré les guerres, les invasions, les colonisations, un génocide et le boum économique actuel, tout en s’adaptant à une société autrefois rurale qui s’urbanise et se modernise.

Un pays où la (bonne) pratique (cultuelle, sociale, rituelle) prédomine sur le dogme, où l’on pioche à volonté dans le bouddhisme et ses valeurs morales, l’animisme, le culte des ancêtres, le spiritisme, et où l’intercesseur – moine, médium, docteur, patron, achar – sera choisi avec discernement en fonction des besoins, du calendrier.

C’est ce que l’on découvre tandis que l’auteur évoque les mythes fondateurs du pays et l’histoire du bouddhisme, qu’il détaille le rôle des moines et des kru boramey dans la vie quotidienne des gens. Par ailleurs, il reconsidère l’Histoire récente du Cambodge sous l’angle du monde invisible, car le surnaturel touche tous les aspects de la vie des Cambodgiens, des plus sombres aux plus heureux, de la naissance à la mort en passant par l’âge adulte.

Le texte est rendu vivant par les nombreux témoignages de Cambodgiens recueillis par l’auteur, comme celui de ce bourreau de l’Angkar, de cette fille qui voit des esprits en permanence, de ce garçon de temple scolarisé grâce à un moine bienveillant…

40 photos couleur.


Cambodge, un monde d’esprits - Les Khmers, le Bouddha et le Naga


L’auteur

Philip Coggan, natif de Sydney, a fait des études universitaires en histoire de l’Asie avant de rejoindre le service diplomatique australien. Il a ensuite participé à des missions de maintien de la paix pour les Nations unies où l’une de ses tâches consistait à interviewer des civils.

Depuis son premier contact avec le Cambodge, où il est venu travailler dans une ONG aidant les victimes de mines, Coggan partage son temps entre le Royaume et l’Australie.

Auteur de cinq ouvrages, Philip Coggan écrit à plein temps depuis 2015.

Philip Coggan présente son livre

La traductrice

Jin Han (Atoutschine) a déjà traduit Aieeyaaa ! Apprenez le chinois à la dure pour les éditions Gope.